Kill Your Darlings – John Krokidas

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La beat generation est une période, un mouvement littéraire qui m’inspire énormément. Il s’agit de briser les codes, d’écrire avec véracité les errements d’une nouvelle vague désillusionnée – et camée jusqu’à l’os. Ce sont des textes forts, des messages choquants et vivaces, un jeu de l’esprit qui ne fait que gagner en intensité. Kill Your Darlings, à mon sens, est une magnifique représentation de cet univers et cette ambiance qui titille les plumes de tout écrivain en herbe, et les imaginations de tout bon rêveur. Film de 2013, réalisé par John Krokidas et basé sur un roman de Kerouac et Burroughs – deux auteurs de la beat generationKill Your Darlings se révèle être un biopic dramatique. Autrement dit, pas totalement mon truc. Krokidas m’était complètement inconnu, autant que l’ouvrage Et les hippopotames ont bouilli vifs dans leurs piscines, de Kerouac et Burroughs. C’était un choix purement aveugle.

Le casting était le coup de maître marketing du réalisateur. Daniel Radcliffe, qu’on ne présente plus depuis Harry Potter, réussit à incarner avec brio un Ginsberg qui, pourtant, était un être complexe, aux multiples facettes. Il donne une interprétation sincère et paumée – bien meilleure, à mon sens, que celle de James Franco dans Howld’un jeune étudiant, découvrant tout juste sa sexualité, son talent et l’univers littéraire décousu dans lequel il désire évoluer. Il donne la réplique à Dane DeHaan, fabuleux acteur déjà aperçu dans le très bon Chronicle (il joue également le Bouffon Vert dans le dernier The Amazing Spider-Man), qui cerne parfaitement l’ambiguïté de Lucien Carr et sa relation tortueuse avec ses pairs. Michael C. Hall incarne David Kammerer, personnage énigmatique qui vous insupporte au début, à la fin, mais qui vous peine quand même. Réussir à se détacher de l’étiquette de David Fisher, dans Six Feet Under, et de celle de Dexter Morgan dans la série éponyme, c’est pas rien. Juste pour ça, je lui tire mon chapeau. Mention spéciale également à Ben Foster, qui fait de Burroughs, un personnage un poil dérangé, quelqu’un d’attachant au possible.

Si le casting est bon, l’histoire n’est pas non plus à la traine.

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Globalement, Kill Your Darlings, de quoi ça parle ?
Il s’agit de l’histoire d’Allen Ginsberg – ou plutôt, une tranche de sa vie. Dans les années 1940, il quitte le domicile familial, et laisse derrière lui sa mère malade, pour aller étudier à l’Université de Colombia, où il vient d’être accepté. Là-bas, il compte marcher dans les traces de son père, célèbre poète, et s’intéresser au maniement de la langue et poésie anglaise. Il y rencontre Lucien, Jack et William, de jeunes auteurs qui croient en un idéal littéraire moins conventionnel que celui enseigné à l’Université. Petit à petit, Allen est initié à cette brisure des codes, y prend goût, et alors que sa relation avec Lucien devient de plus en plus complexe, il se lance à corps perdu dans la New Vision, ce renouveau littéraire que les quatre compères veulent créer.

C’est un biopic, donc. Et je ne suis pas fan des films autobiographiques, généralement parce que je les trouve ponctués de longueurs inutiles, d’anecdotes ne plaisant qu’aux fans hardcores, bref, ça m’ennuie. Mais de temps à autres, il y en a de très bons qui surgissent sur nos écrans. Kill Your Darlings en est. Il ne se perd pas en plans trop lents, il enchaine les événements comme un cerveau sous speed. Lorsque la drogue entre en jeu – parce que oui, il y a de la drogue dans ce film – la réalisation en est affectée. Plans rapides, musique rythmée, enchainement de séquences et monologues décousus, on voit des bribes de mots, de phrases, une phase de création littéraire qui nous submerge littéralement. Pour le passionné de lettres et littérature que je suis, c’est un pur bonheur. L’ambiance des années 40 est parfaitement retranscrite, notamment ces clubs de jazz où ça fume, ça boit, ça refait le monde comme personne. Et cette homosexualité encore tristement perçue comme une maladie, une anomalie. Ce sujet ne prend pas toute la place du film, mais s’y immisce petit à petit, par à-coups, et rend le tout cohérent. Parce que Ginsberg était gay, et cette découverte de qui il est, de ce qu’il veut faire de sa différence, et comment il désire l’exploiter à travers son talent d’écrivain, c’est un des piliers du film.

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J’aurai beaucoup à dire, beaucoup plus, parce que j’ai aimé ce film comme rarement j’aime. Il y a tout: de la bonne musique et une réalisation qui ne perd pas son souffle un seul instant, une frénésie d’écriture et de poésie qui revendique un changement dans les normes, une histoire amoureuse tordue et décomplexée, un casting doué au possible, bref c’est, à mon sens, un bijou. Si vous le pouvez, regardez le en VO, rien que pour les poèmes scandés qui ont un tel cachet dans leur langue d’origine. Ce film inspire, ce film vous donne envie de coucher sur papier vos douleurs les plus enfouies, vos colères les plus fortes, il vous donne envie de crier sur les toits qui vous êtes et quel est ce monde que vous voyez. Regardez-le.

(critique publiée sur Senscritique le 2 mars 2015)

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